Étude sur la sexualité en milieu carcéral belge
Au premier regard, prison et sexualité sont des termes qui, à l’évidence, ne s’harmonisent pas et ne semblent guère s’ouvrir sur les mêmes perspectives. La prison est plutôt synonyme de « mort » temporaire, de dépersonnalisation, d’absence de plaisirs partagés, de violence et de gestion docile des individus soumis à un pouvoir contesté ou rejeté. La sexualité, quant à elle, est plutôt synonyme de vie, de créativité, de plaisir, de joie partagée avec un être aimé. Quand ces deux dimensions se rencontrent apparaît dès lors une toute autre réalité sur laquelle nous avons souhaité lever le voile.
Tout en gardant à l’esprit qu’au centre de la prison s’opposent toujours la recherche de sécurité et la volonté de défendre l’humain, nous avons tenté de partir à la découverte du vécu sexuel de personnes incarcérées.
Hypothèse de recherche
La privation de relations hétérosexuelles en prison engendre chez le détenu un sentiment de frustration. En réponse à ce sentiment, l’individu incarcéré cherche à s’adapter. Cette adaptation suit différentes trajectoires allant de pratiques sexuelles plus solitaires à des pratiques sexuelles de substitution impliquant un rapport à l’autre. Cette adaptation porte également sur les discours et les comportements des personnes dans un contexte carcéral particulier et est influencée non seulement par leurs perceptions mais aussi par leur vécu.
Méthodologie
A partir d’informations obtenues auprès de 530 hommes incarcérés au sein de dix établissements pénitentiaires belges francophones, nous avons réalisé une étude de la sexualité en milieu carcéral perçue et vécue par les personnes détenues. De manière plus précise, notre recherche repose sur les fondements théoriques émanant des travaux réalisés par Sykes et plus particulièrement, son analyse sociologique de la prison. Parmi ses découvertes et aux fins de notre étude, nous avons retenu que l’institution carcérale est source de grandes privations pour l’individu incarcéré et qu’au cœur de ces privations se retrouve celle de relations hétérosexuelles, laquelle est à l’origine d’importantes souffrances et frustrations pour le détenu. Nous avons également retenu que l’absence de mixité en prison ou l’impossibilité de relations hétérosexuelles engendre chez les détenus une polarisation de leurs discours et de leurs attitudes vis-à-vis de la sexualité.
Une rigidification autour de valeurs de masculinité
Ce processus se manifeste principalement chez les jeunes détenus et chez les primo-arrivants. Il leur permet entre autres de se faire une place en détention, de marquer leur territoire et de créer autour d’eux une barrière protectrice en réponse à la peur de l’agression sexuelle régnant constamment à l’intérieur des murs de la prison.
Les pratiques sexuelles de substitution
La sexualité incarcérée recourt à des pratiques sexuelles de substitution solitaires telles que la masturbation ou la vision de revues et de films pornographiques, mais ces activités sexuelles sont loin de récolter les faveurs d’une grande majorité de nos répondants. Si elles ne remplacent pas la sexualité partagée et vécue avec un partenaire choisi et désiré, ces pratiques sont néanmoins acceptées plus favorablement par les détenus, notamment par ceux dont la durée d’incarcération est plus longue ainsi que par les détenus plus jeunes. Au niveau de la sexualité entre détenus, nous observons que près de 27% de notre échantillon pensent effectivement que des relations sexuelles entre détenus ont lieu et près de 17% de notre échantillon admettent qu’un détenu peut accepter temporairement des relations homosexuelles pour reprendre ensuite une vie hétérosexuelle à sa libération.
Les relations carcérales interdites avec le personnel
Nous avons pu constater que plus de 35% de nos répondants croyaient en l’existence de relations avec des membres du personnel. Même s’il convient de ne pas fermer les yeux sur cette réalité, ces résultats doivent être accueillis avec prudence car derrière ce pourcentage peuvent se refléter bien d’autres réalités : fantasmes sexuels de certains détenus à l’égard de membres du personnel, affirmation d’un sentiment de supériorité ou d’une résistance à l’égard d’une autorité carcérale castratrice.
Visite hors surveillance
Instauré officiellement dans le but de maintenir les liens familiaux et affectifs et pour apporter également une réponse au besoin de sexualité des personnes détenues, un dispositif de visites hors surveillance existe en Belgique depuis le début des années 2000, à la satisfaction globale des détenus ayant participé à notre enquête. Il convient encore de relever que ce dispositif n’est pas accessible à l’ensemble de toute la population incarcérée. La grande majorité de nos répondants se sont montrés très favorables à l’accessibilité de ces visites pour les détenus sans partenaire, via entre autres un service sexuel offert par l’entremise de personnes prostituées.
Des styles d’adaptation, en guise de conclusion
Au cours de notre investigation, certaines tendances générales ont pu être mises en évidence et nous avons dès lors pu proposer au lecteur notre propre grille de lecture sous la forme d’une classification en trois trajectoires d’adaptation des discours et des pratiques liés à la sexualité incarcérée : celle des jeunes mâles, des mitigés et des enracinés. En prenant appui sur les différents résultats obtenus à l’issue de nos analyses statistiques, nous sommes en mesure de confirmer qu’en prison, la sexualité ne se considère pas et ne se vit pas de la même façon selon que l’on est jeune ou plus âgé, que l’on vit en détention depuis peu ou depuis plus longtemps. Dans ce contexte, sous l’impact de l’âge et du temps d’incarcération, les trajectoires d’adaptation au contexte de privation sexuelle se diversifient chez les personnes interrogées, privilégiant tantôt un positionnement plus « rigide », tantôt un positionnement plus « tolérant » à l’égard des valeurs et des pratiques en lien avec la sexualité incarcérée.